La crise de la mer Rouge, déclenchée par les attaques répétées des rebelles houthis contre les navires empruntant le golfe d’Aden et le canal de Suez, a profondément bouleversé le trafic maritime mondial.
En 2024, environ 10 % du tonnage mondial (soit 500 millions de tonnes) a dû emprunter la route du cap de Bonne Espérance, rallongeant le trajet de près de deux semaines et générant une surconsommation de carburant estimée à 200 millions de litres supplémentaire par mois. Cette réorientation a fait exploser tant les coûts opérationnels que les délais de livraison, provoquant des retards massifs, la rupture de nombreuses chaînes d’approvisionnement, et une flambée des réclamations.
La majorité des transporteurs a dû suspendre et/ou rediriger ses navires.
Face à ces bouleversements, la question de la force majeure se pose : Le transporteur peut‑il l’invoquer pour s’exonérer de sa responsabilité en cas de retard ou d’inexécution ?
La réponse tient à deux critères : le droit applicable et la rédaction de la clause contractuelle.
• En common law, l’invocation de la force majeure n’existe que si elle est expressément prévue dans le contrat ; sans clause dédiée, le transporteur ne peut pas s’en prévaloir.
• En droit continental, notamment en France, la force majeure est codifiée : elle doit être extérieure, imprévisible et irrésistible, et rendre l’exécution matériellement impossible, cependant elle peut être adaptée et être étendue, à condition qu’elle n’enfreigne pas d’autres principes.
La rédaction de la clause de force majeure devient donc cruciale pour savoir si la crise de la mer Rouge entre dans son champ.
Deux étapes s’imposent :
- Les événements couverts : une clause de force majeure doit énumérer, de façon claire et exhaustive, les circonstances imprévisibles et hors du contrôle du transporteur (guerre, hostilités, invasion, actes de terrorisme). Il convient de vérifier que la clause ne se limite pas aux seuls événements initiaux, mais englobe également les perturbations consécutives que le contrat pourrait laisser hors champ.
- Les effets sur l’exécution : Faut‑il que l’obligation soit totalement impossible à exécuter, ou suffit‑il qu’elle soit « entravée » ou « retardée » ? Cette distinction est cruciale : certains contrats imposent un seuil élevé (exécution impossible), d’autres un seuil plus bas (exécution entravée). Pour les marchandises périssables, un retard même modéré peut constituer une inexécution totale. Il convient enfin de déterminer le moment précis où l’obligation devient impossible et d’identifier les moyens laissés au transporteur pour y remédier (recherche d’itinéraires alternatifs, notifications, etc.).
Enfin, si la crise de la mer Rouge ne remplit pas les critères de la force majeure ou si aucune clause n’est prévue, il est possible de s’appuyer sur des circonstances exonératoires prévues par des lois ou conventions internationales. Contrairement à la force majeure, ces circonstances constituent des catégories d’événements qui exonèrent automatiquement le transporteur de sa responsabilité.
Ainsi, l’article 4.2 (e), (f), (g) et (q) de la Convention de Bruxelles et, en droit français, l’article L. 5422‑12 III du Code des transports listent une série d’« événements non imputables au transporteur » (guerre, actes de terrorisme, opérations militaires, etc.).
Morgane Roussel, Avocat Associé, Marseille (France). LinkedIn: https://www.linkedin.com/in/morgane-roussel-98763391/
Email: mroussel@squairlaw.com
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